Antonin Sofia, ancien ingénieur Rhône-Poulenc Industrialisation aujourd'hui responsable du secteur Analyses de l'Exera, confirme que l'analyse industrielle est loin d'avoir livré tous ses secrets. Des développements sont encore en cours dans l'analyse in situ, la mesure sans contact et les nouvelles techniques de surveillance de l'atmosphère des sites industriels.
INTERVIEW
« Les analyseurs sont les seuls outils capables de
contribuer à la conduite et à la surveillance de
procédés. »
Info Chimie Magazine : Parmi tous les équipements
utilisés pour faire de l'analyse industrielle, peut-on proposer un
classement des technologies afin de mieux comprendre l'organisation
du marché et le positionnement des constructeurs ?
Antonin Sofia : On a coutume de regrouper sous le
terme d'analyse industrielle un ensemble de technologies ayant pour
fonction de fournir les résultats des mesures de composition ou de
grandeurs physiques nécessaires au contrôle de la qualité des
produits, à la surveillance et à la conduite optimale des procédés
industriels. On peut distinguer trois grandes familles de produits.
Tout d'abord l'instrumentation traditionnelle, les capteurs qui
permettent d'effectuer des mesures de température, de pression, de
niveau, de débit, poids, interface… Ces appareils fournissent des
données indispensables pour garantir le respect des paramètres
physiques de fonctionnement d'une installation. Mais, en aucun cas,
ils ne permettent d'assurer seuls la conduite d'un procédé. On
trouve ensuite des capteurs et détecteurs plus élaborés comme les
hygromètres, les oxymètres qui permettent de détecter la présence
de molécules d'eau ou d'oxygène et les différents toximètres et
capteurs « électrochimiques ». Dans la mesure où ils
détectent et quantifient une catégorie de molécules ou un état, ils
peuvent être considérés comme des intermédiaires entre les simples
outils de mesure et les analyseurs. Enfin, il y a les analyseurs,
comme les chromatographes et des spectromètres UV, visible,
infrarouge ou Raman. En réalité, ce sont les seuls outils capables
d'assurer le dosage de matières premières, des produits
intermédiaires et produits finis, et de contribuer à la conduite et
la surveillance des procédés.
En conséquence, les constructeurs d'analyseurs et de capteurs
sont souvent des sociétés différentes. Sauf dans le cas des plus
gros acteurs, comme par exemple Siemens, ABB, Emerson process ou
Yokogawa qui offrent l'ensemble des technologies disponibles de
mesure et d'analyse en ligne.
Quelles sont les dernières tendances au niveau des technologies
utilisées dans la chimie ? Va-t-on assister à la sortie de nouveaux
types d'équipements ?
En analyse en ligne, on continue à utiliser intensivement des
techniques chromatographiques et les techniques d'analyse spectrale
comme l'UV, le visible, l'IRTF ou le Raman. En parallèle, on
assiste à un développement du contrôle de l'atmosphère à distance
au-dessus des sites, à travers la surveillance de l'air ambiant,
mais aussi des rejets en sortie de cheminée. Par exemple, on
cherche à détecter des produits comme le monoxyde de carbone, le
dioxyde de carbone, le dioxyde de soufre, l'ozone, les monoxydes
d'azote et NOx, les poussières, les hydrocarbures aromatiques, les
métaux, et d'autres composés organiques poly et/ou hétérocycliques…
En ce qui me concerne, je considère que les analyses pour assurer
la sécurité et la protection de l'environnement font partie du
procédé.
Dans le domaine de la spectrométrie UV et IR, les analyseurs
in situ tendent à remplacer les analyseurs extractifs. Qu'en
est-il exactement ?
Le contrôle des procédés a démarré avec l'analyse « off
line ». Dans ce cas, un opérateur prélève un échantillon qui
est ensuite analysé en laboratoire central du site. Puis est
apparue l'analyse « at line ». Les appareils d'analyse
sont délocalisés et mis à la disposition des opérateurs de process
pour leur permettre de réaliser leurs analyses dans l'unité. On
parle alors d'auto-contrôle.
Ensuite est apparue l'analyse en ligne qui consiste à installer
l'analyseur sur le procédé lui-même ou sur une dérivation (boucle
d'échantillonnage) dans laquelle on fait circuler le produit à
analyser. L'avantage essentiel de cette technique réside dans la
limitation des interventions humaines : plus de prise
d'échantillon, plus d'injection manuelle dans un appareil
d'analyse. Dans ce domaine de l'analyse en ligne certains
constructeurs parlent d'analyseurs à systèmes extractifs :
l'échantillon à analyser est alors « extrait » du
process - par opposition aux dernières générations
d'analyseurs capables de réaliser des analyses in situ, à
l'intérieur même des réacteurs ou des analyses non invasives :
il n'y a dans ce cas aucun contact entre la sonde ou l'analyseur et
les composés à quantifier.
On entrevoit tout l'intérêt de ces dernières techniques qui
permettent des mesures en continu et une rétroaction très rapide
sur le procédé en cas de dérive. Mais alors que les premiers
balbutiements de la technique remontent déjà à sept ou huit ans,
force est de constater qu'il reste encore pas mal de travail de
développement. Ainsi, en analyse spectrale, on a coutume de
travailler au laboratoire en milieu dilué. Faire de l'analyse in
situ dans des milieux agressifs et concentrés impose de
développer des cellules avec des matériaux, des géométries et des
parcours optiques totalement repensés. À titre d'exemple, on
commence à proposer des cellules avec des trajets optiques de
50 micromètres et même moins, contre 10 mm pour des
appareils de laboratoire. Un problème est celui des variations des
caractéristiques métriques avec les variations de températures.
Des logiciels de traitements multi-variables (chimiométrie) sont
mis au point pour apporter des solutions et autoriser une conduite
optimale du procédé, fonction des qualités physiques, chimiques et
aussi d'usage du produit final recherché.
La mesure sans contact est un sujet souvent évoqué lorsqu'on
parle d'innovation. En quoi cela consiste ?
C'est le concept d'analyse non invasive cité précédemment. Au
niveau des capteurs, on assiste effectivement au développement de
techniques de mesure sans contact avec le produit qui s'effectuent
au travers de la tuyauterie. L'un des exemples les plus courants
est celui de la mesure de débit ou de niveau par ultrasons. Mais on
peut également effectuer beaucoup d'autres mesures :
température, humidité, viscosité (pour peu qu'on arrive à faire
circuler le produit à analyser dans un tube un peu particulier), et
analyses quantitatives par des méthodes optiques.
Y a-t-il aussi des nouveautés dans le domaine de la
chromatographie ?
La chromatographie gazeuse qui permet l'analyse de gaz ou de
liquides thermolabiles demeure une méthode incontournable.
L'analyseur se miniaturise, les performances analytiques et
métrologiques augmentent. Mais la chromatographie reste une
technique extractive et les analyseurs doivent être montés sur des
boucles de dérivation. En ce qui concerne la chromatographie
liquide en ligne, elle peine à se développer. Elle souffre toujours
d'un handicap qui est l'utilisation de solvants et n'a toujours que
peu de références. L'expérience montre qu'on n'utilise la
chromatographie liquide que lorsqu'on ne peut pas faire
autrement.
D'une façon générale, quelles sont les principales attentes des
utilisateurs de capteurs et d'analyseurs ?
Les utilisateurs attendent un développement de l'offre dans le
domaine de l'analyse spectrale, ainsi qu'une miniaturisation des
systèmes. Ils attendent également des améliorations et
développements en chimiométrie. Ils attendent encore plus de
fiabilité, des temps de réponse plus courts, plus de sensibilité et
une linéarité des réponses. Ils attendent enfin des améliorations
au niveau du traitement du signal et du transport de l'information
à travers le développement des fibres optiques.
La directive Atex stimule le marché.
En tant que membre actif de l'Exera, pouvez-vous présenter
votre association ?
L'Exera est une association des Exploitants d'équipements de
mesure, de régulation et d'automatismes créée il y a trente ans.
Elle est au service de ses adhérents qui sont des utilisateurs (ou
ensembliers) d'instruments de mesure, d'analyseurs industriels et
de systèmes automatisés. Sa vocation est d'apporter à ses membres
une aide pratique pour l'expression du besoin, sa spécification et
le choix de solutions ou de produits.
Nous procédons à des évaluations de matériels avec l'aide
d'experts de nos sociétés et de laboratoires compétents et
indépendants. Ces évaluations peuvent conduire à l'amélioration des
produits existants. Nous éditons des guides de choix ainsi que des
études, et nous suivons de près la réglementation. Nous assurons
une représentation collective des utilisateurs auprès des instances
de certification et normalisation. Nous favorisons également la
création de clubs utilisateurs, à l'image des clubs Siemens,
Schneider ou ABB, qui permettent de faire évoluer les gammes de
produits des constructeurs. Nous travaillons par ailleurs en réseau
au niveau européen, notamment à travers des partenariats avec l'EI
(Grande-Bretagne) et le WIB (Pays-Bas), et notre antenne CLUI en
Italie. L'Exera est un lieu privilégié de rencontre et discussions
entre utilisateurs.
Avez-vous eu l'occasion de recueillir le point de vue de
constructeurs sur l'état du marché ?
À travers l'Exera, nous avons des contacts avec des fournisseurs
d'équipements. Il semble que le marché est un peu
« faiblard », mais il ne se porte pas trop mal. Les
constructeurs bénéficient notamment de l'arrivée de la norme Atex
qui doit imposer à terme un remplacement de tous les appareils de
mesure et d'instrumentation utilisés en zones explosibles. Or, du
point de vue des utilisateurs, il est impossible d'envisager un
remplacement de l'ensemble de leurs parcs pour des raisons
économiques évidentes. Tout le débat consiste à essayer de
sensibiliser les constructeurs à la nécessité d'aider les
utilisateurs à maintenir les outils existants.
Quels sont actuellement les grands sujets de préoccupations de
l'Exera ?
L'un des grands sujets de préoccupation du secteur analyse de
l'Exera reste, bien entendu, la directive Atex. L'une des grandes
interrogations étant : comment les utilisateurs vont-ils
s'organiser avec les matériels existants ? Un autre objectif
est de travailler sur les capteurs de niveau et de débit, les
sondes « zircones », la détection des HC et autres
polluants, la qualité de la mesure, la sauvegarde de l'information…
Il y a tellement de technologies et de fournisseurs qu'il faudrait
pouvoir aider les utilisateurs à faire un choix et c'est une des
vocations de l'Exera. On peut encore citer d'autres sujets comme
les mesures de particules à l'émission, les COV fugitifs, les
fibres optiques, la détection à distance, la thermographie,
etc.
Propos recueillis par Sylvie Latieule.