Le marché de la sécurité est une manne pour les capteurs de la famille des nez électroniques. Face à des projections de croissance très positives, les équipements voient leurs applications se diversifier.
EQUIPEMENTS
La situation est sensible. D'après Alcimed, société de conseil
en sciences de la vie et chimie, les larges subventions américaines
pourraient menacer la position de l'actuel leader des nez
électroniques, le Français Alpha-Mos, qui couvre 70 % du
marché européen.
Alcimed a réalisé pour le ministère de l'Industrie une étude
portant sur les capteurs de substances chimiques, rendue publique
en mai 2004. Elle porte notamment sur le marché des nez
électroniques dans le secteur de la protection civile, militaire et
des douanes. Alcimed estime le marché des capteurs chimiques pour
ces applications à 70 millions d'euros en Europe. Avec des
perspectives de croissances de 20 à 40 % en cinq ans.
Un scénario qui ne tient pas compte des décisions politiques
dans ce secteur sensible. Aux Etats-Unis, le ministère de l'Energie
a déjà chamboulé les prévisions récentes avec l'allocation d'un
milliard de dollars à un programme de recherche et de développement
de capteurs de gaz toxiques à des fins de protection civiles en
partenariat avec la Russie.
Jusqu'à présent, aux Etats-Unis, une étude de Freedonia Group
estimait le marché total à 90 millions de dollars en 2003.
Avec une croissance de 8,8 % par an, il devrait peser
137 millions de dollars en 2008.
Des capteurs de nature variable
Les nez électroniques doivent détecter une odeur, c'est-à-dire
un mélange de gaz. Encore actuellement, cette tâche est confiée à
des êtres humains, dont l'organe olfactif est doté d'environ
50 millions de capteurs cellulaires, concentrés sur une zone
de quelques centimètres carrés.
Par rapport au nez humain, les nez électroniques présentent
plusieurs avantages : des résultats rapides, de l'ordre de
quelques secondes, réutilisables (pas de phénomène de saturation),
et polyvalents puisqu'il est possible d'intégrer de nouvelles
signatures olfactives dans la banque de donnée. De plus, ils
détectent des gaz dépourvus d'odeur au sens humain du terme.
Les nez électroniques sont bâtis sur le même modèle que le nez
d'un être humain, ou d'un animal. Mais le capteur est ici physique
et non plus biologique. Les capteurs les plus anciens sont des
oxydes métalliques. Adaptés aux gaz de petite taille moléculaire,
ce sont les plus robustes et les moins onéreux. Il existe cinq
familles de capteurs, à base d'étain, de titane, de noebium, de
zinc et de tungstène. Chacun de ces métaux peut être dopé à l'or,
au germanium, au platine ou au palladium. C'est la combinaison
entre l'oxyde métallique et l'élément dopant qui permet d'élaborer
des capteurs dotés d'une réactivité spécifique : certains sont
sensibles aux aldéhydes, d'autres aux amines ou aux composés
soufrés, etc. Autre facteur de diversité : la cristallographie
de l'oxyde, son épaisseur (couche mince ou pas), sa température
d'emploi (entre 200 et450°C) et son utilisation (pulsé ou
continu).« Ainsi, un même capteur donne des résultats
différents en fonction des paramètres retenus. Et concevoir un nez
électronique revient à panacher ces différents capteurs pour
obtenir la sélectivité souhaitée du nez électronique. C'est là
notre savoir-faire », estime Jean-Christophe Mifsud,
fondateur et directeur d'Alpha-Mos. D'autres types de capteurs
existent. Cependant, ils sont moins employés. C'est le cas des
capteurs quartz cristal microbalance, un quartz recouvert d'une
couche de matériau organique.
L'adsorption de molécules sur la couche organique modifie la
masse et donc la fréquence du capteur quartz. Ensuite, les
polymères à empreinte moléculaire, aussi appelés MIPs pour
« Molecular Imprinting Polymers ». Plus économiques, ce
sont des molécules de la famille des poly-pyrroles ou des indoles.
Ces matériaux ont la caractéristique de présenter des cavités
hautement spécifiques des molécules à détecter. Ainsi, ces
dernières peuvent s'y imbriquer. Les liaisons mises en jeu sont
faibles. Par conséquent, elles sont réversibles et le polymère est
donc réutilisable. Autre avantage : ces capteurs s'emploient à
température ambiante.
La mémoire alimentée par une base de données
Si la nature du capteur varie, la reconnaissance est quant à
elle toujours faite grâce à un logiciel et une banque de données
d'odeurs. « L'empreinte chimique de l'odeur est comparée à
une référence. Un nez électronique demande donc un apprentissage et
sa reconnaissance est sélective », explique David Bariau,
responsable de l'activité Biotech chez Alcimed. Les nez
électroniques sont déjà utilisés dans certains secteurs comme la
chimie, la pharmacie et l'agroalimentaire, surtout au niveau de la
recherche, du développement et du laboratoire (pour le contrôle
qualité). En chimie, ils sont notamment utilisés pour vérifier la
qualité des matières premières. D'après Alcimed, les premiers
capteurs chimiques d'explosifs, d'armes chimiques et biologiques
existent déjà pour des applications de protection civile et
militaire. Ainsi, Alcimed signale que les Etats-Unis ont déjà lancé
un programme de développement de capteurs à bas coût pour les
métros. Des réseaux pilotes sont à l'essai dans les métros de
Washington, Boston et à l'aéroport de San Francisco. L'autre grande
application concerne la détection à distance de stupéfiants. Dans
ce cas, il faut des capteurs robustes, simples à utiliser et peu
onéreux.
« Cela reste des marchés de niche, constatent David
Bariau et Peggy Rematier, consultante dans l'équipe biotech
d'Alcimed. Leur avenir se dessine dans le contrôle automatique
de la ventilation, les applications médicales (détecter les
ulcères) et l'environnement (contrôle de fuite, qualité de l'air
intérieur et extérieur) ».
Des marchés de niche? Ce n'est pas l'avis de Jean-Christophe
Mifsud, directeur d'Alpha-Mos. « Nous réalisons environ
50 % de notre chiffre d'affaires dans le contrôle qualité.
Pour le reste, les nez électroniques sont surtout utilisés en
recherche et développement, mais la part de l'environnement est
croissante », argumente-t-il.
La société a réalisé en 2004 un chiffre d'affaires en baisse de
14 % par rapport à 2003, à 3,6 millions d'euros, plombé
par les taux de change. « Nous vendons à 90 % à
l'export », souligne Jean-Christophe Mifsud. La
répartition du chiffre d'affaires de la société reflète la
composition du marché. L'agroalimentaire vient en tête avec
35 % des revenus d'Alpha-Mos. Le secteur de l'emballage
constitue 15 % des ventes et la parfumerie-cosmétique environ
10 % (contrôle des surfactants, benzoate de sodium, glycérine,
etc.).
La pharmacie représente environ 22 % de l'activité de la
société alors que ce secteur a été lancé il y a deux ans à peine.
« Nos équipements sont notamment utilisés pour tester le
goût des médicaments. Une activité qui n'est pas envisageable pour
des êtres humains. Ce serait trop dangereux », explique
Jean-Christophe Mifsud. Une autre tranche de 20 % est issue
d'un secteur également en pleine croissance, celui de
l'environnement. D'après le directeur de la société,
l'environnement devrait représenter 40 % de son chiffre
d'affaires au cours des trois à quatre prochaines années. Pour
appuyer ce marché, Alpha-Mos était présente au salon Pollutec et y
a présenté un nouvel équipement, baptisé RQ-Box. Ce nez
électronique sans fil est destiné aux industries pétrochimique ou
papetière. Un système pilote est notamment installé sur une usine
pétrochimique aux Etats-Unis. « Aujourd'hui, notre objectif
est de valider cet équipement très rapidement en France. Aussi,
nous travaillons à corréler les gaz à détecter à des perceptions
sensorielles. Ensuite, nous proposerons ce nez électronique aux
acteurs de l'environnement en premier lieu », détaille
Jean-Christophe Mifsud. Le défi des nez électroniques appliqué à
l'environnement est leur sélectivité partielle. « En effet,
la banque de données associée au nez électronique renseigne
90 % des alertes. Mais il faut garder une sélectivité
partielle pour identifier les alarmes liées à la présence d'un
nouveau solvant ou de nouvelles nuisances olfactives. Le nez
électronique joue donc ainsi un rôle de sentinelle réagissant aussi
à des stimuli inconnus », détaille Jean-Christophe Mifsud.
Des millions de dollars pour la recherche américaine
Dans le secteur des nez électroniques, l'innovation est
primordiale
« Nous consacrons un tiers de notre chiffre d'affaires à
la recherche et développement », confirme le directeur
d'Alpha-Mos. « Le développement technologique dans le
domaine des nez électroniques est très dynamique »,
renchérit David Bariau. Pourtant, comment lutter contre une société
comme Cyrano Science, aujourd'hui baptisée Smiths
Detection-Pasadena, qui vient de remporter un contrat du ministère
de la Défense américain d'un montant de 15 millions de dollars
pour la fourniture de 1 600 unités de détection de
produits chimiques ? Cette structure, basée en Californie, a
été rachetée par le Britannique Smiths Detection
pour15 millions de dollars au printemps 2004. Une bonne
affaire, étant donné qu'elle avait collecté pas moins de
46 millions de dollars auprès de plusieurs fonds
d'investissement. Malgré la menace américaine, le dirigeant
d'Alpha-Mos semble confiant. « Avec notre filiale
américaine et notre réseau très proche des universitaires
américains, nous avons accès au savoir-faire en développement, à
défaut de pouvoir participer à la recherche avec les fonds
gouvernementaux », rassure le directeur l'Alpha-Mos.
Albane Canto