Des bâtiments de l'usine savoyarde de la société Métaux Spéciaux sortent chaque année des centaines de tonnes de sodium métal et de chlore qui partent aux quatre coins du monde. Avec un défi pour l'entreprise : rester compétitive depuis sa région natale.
METAUX SPECIAUX À POMBLIÈRE
Une chaussure vieillie par les années, un flacon rempli d'une
poudre noire - du cobalt - et un drapeau jaune défraîchi marqué du
sceau de Pechiney. Trois objets déposés derrière une vitrine qui
résument à eux seuls une partie de l'histoire de l'usine de
Pomblière. Située à flanc de montagne à Saint-Marcel en Savoie,
elle côtoie les 686 habitants de cette commune localisée à
80 kilomètres de Chambéry, entre Moûtiers et
Bourg-Saint-Maurice. Un endroit a priori plus réputé pour
ses stations de ski que pour ses usines. Pourtant, des centaines de
pieds d'ouvriers savoyards ont martelé les lieux depuis la création
de l'usine en 1898. A cette époque le site porte le nom de La Volta
et se lance dans la production de chlore et de soude caustique.
Après plusieurs changements de propriétaires, l'usine entre en 1971
dans le giron de Pechiney et en devient une filiale indépendante un
an plus tard. Le site de Pomblière répond alors au nom de Métaux
Spéciaux.
En 1997, la société quitte Pechiney par LBO (Leveraged Buy Out)
et prend sa définition juridique sociale, autre nom sous lequel
elle est aussi connue : MSSA. Depuis 2001, son capital est
détenu en majorité par la Royal Bank of Scotland (94 %), le
reste appartenant aux dirigeants de l'entreprise. De santé fragile,
l'usine abandonne, dans les années 80, ses activités de production
de cobalt vieilles de cinquante ans et devenues peu compétitives.
Mais elle conservera l'activité qui font aujourd'hui sa
renommée : le sodium.
« Au fil des années, nous nous sommes concentrés sur des
produits de niche avec pour objectif de devenir le seul acteur de
ces marchés », explique Bruno Gastinne, président de
l'entreprise. D'où l'importance de ses activités à l'export ;
90 % des produits fabriqués à flanc de montagne partent ainsi
aux quatre coins du monde pour rejoindre la Finlande, le
Royaume-Uni, la République tchèque, l'Italie, l'Inde, le Japon, la
Chine, la Thaïlande, le Brésil et les Etats-Unis.
Si la première activité de Métaux Spéciaux reste le sodium métal
(80 % du chiffre d'affaires), dont elle propose différents
grades, la société commercialise également 30 000 tonnes
de chlore par an (12,5 % de son chiffre d'affaires), des
chlorures de vanadium (VOCl3, VCl4, VCl3, 200 tonnes par an) -
des catalyseurs pour la fabrication du polyéthylène et du
caoutchouc EPDM (éthylène propylène diène monomères) - , mais aussi
des oxydes de sodium utilisés comme réactifs de laboratoire, un peu
de potassium métal et d'hypochlorite de sodium. Une tendance vers
des marchés de niche qui devrait encore se poursuivre, la société
visant dans l'avenir les marchés encore plus restreints du sodium
et du chlore purifié. Ce dernier entre par exemple dans la
fabrication de semi-conducteurs.
Pour devenir le seul acteur européen du marché du sodium métal,
la société n'a pas lésiné. D'une part, en 1998, les dirigeants
décident de doubler les capacités de production du produit. Une
tâche réalisée en quelques mois et portant les capacités de
12 000 à 28 000 tonnes par an. Coût de
l'opération : 35 millions d'euros. Un investissement
conséquent à la lumière des 48 millions d'euros de chiffre
d'affaires annuel réalisés par la société. D'autre part, Métaux
Spéciaux signe, dans le même temps, un contrat de fourniture avec
son principal concurrent de l'époque, le Britannique Octel. Ce
dernier abandonnera ses activités de fabrication de sodium pour
être approvisionné par l'usine de Pomblière. Grâce à ces deux
décisions, la PME de 250 salariés prend ainsi la place de
numéro un du marché.
« Le sodium est un métal très mou et léger, sa densité
étant inférieure à un, réputé pour ses propriétés
réductrices »explique Christian Le Mouëllic, directeur
technique du site. Il est ainsi utilisé dans de nombreuses
applications (voir encadré).
Selon la société, son marché mondial est estimé à
80 000 tonnes. Il se répartit à raison d'un quart aux
Etats-Unis, d'un quart en Europe et de la moitié en Asie. Métaux
Spéciaux en produit, quant à lui, 20 000 tonnes par an
(dont 6 000 tonnes purifiées), et se retrouve en
compétition avec l'Américain DuPont et quatre compagnie
chinoises.
« Si le marché asiatique est en plein essor, le marché
européen se réduit en raison de l'abandon du plomb tétraéthyle
comme additif pour les essences plombées [le sodium métal est
utilisé pour sa synthèse, ndlr]. Du coup nos clients ferment ou
délocalisent », constate Bruno Gastinne.
Sur le marché américain, relativement stable, la société a
adopté une autre stratégie : la vente et la distribution de
produits. Pour cela, elle a implanté au Texas en 2004, pour 4
millions d'euros, un terminal logistique de sodium liquide.
« Pour pénétrer le marché américain, il fallait livrer le
sodium en wagons, explique Bruno Gastinne, par ailleurs nous
ne voulions pas fabriquer de sodium sur place, l'activité de
production étant plus compétitive en France. En deux ans, nous
avons pu prendre près de 30 % du marché du sodium aux
Etats-Unis ». En 2001, pour répondre à une autre demande
du marché américain, la société a également mis en route en Savoie
un atelier de fabrication de sodium purifié (« qualité
Sopure ») contenant une très basse teneur en calcium
(200 ppm). « Rester compétitif et servir des clients
situés à l'autre bout de la planète implique de diminuer les coûts
de production et d'optimiser ceux de transport », poursuit
le dirigeant. Combiner un positionnement géographique difficile,
notamment l'absence de port à proximité, et un statut de site
électrointensif - la production de sodium et de chlore étant très
gourmande en électricité - , n'est pas forcément un avantage.
L'usine consomme en effet entre 200 et 250 GWh (gigawattheure)
d'électricité par an. « L'électricité représente 30 %
du prix de revient du sodium, un chiffre qui ne fait
qu'augmenter », s'indigne Bruno Gastinne. Pour tenter
d'inverser la tendance, la société souhaite s'associer au
groupement d'achat Exeltium. Ce consortium formé par les sept
entreprises les plus consommatrices d'électricité en France vise à
bénéficier de prix de l'électricité plus favorables auprès des
producteurs. Il doit à terme regrouper une soixantaine
d'entreprises (voir notre enquête). Par ailleurs, Métaux Spéciaux
milite pour obtenir un prix préférentiel sur le transport de
l'électricité. Dans la partie haute de l'usine trône en effet une
centrale hydroélectrique, vestige d'une époque où elle appartenait
à l'usine. Nationalisée en 1946, cette centrale appartient depuis à
EDF. D'où un certain agacement. « La centrale est située
sur le site, or nous payons le transport de l'électricité au tarif
en vigueur à savoir 7 euros le mégawattheure. C'est
scandaleux », s'insurge le dirigeant. Une autre voie
empruntée par la société pour grignoter des chiffres sur la facture
énergétique consiste à améliorer la productivité des cellules
d'électrolyse, un travail effectué par les équipes de R&D. Le
rendement actuel restera secret. Par ailleurs, la société s'est
lancée depuis deux ans dans des activités de services. Elle assure
ainsi l'entretien d'isoconteneurs et de wagons pour le compte de
tiers, voire de clients ou de concurrents. Et un nouveau projet de
taille l'attend.
Pour Bruno Gastinne et Christian Le Mouëllic, les allers-retours
en Chine s'enchaînent en effet. Les deux hommes sont en train
d'étudier un projet d'usine d'une capacité de
16 000 tonnes par an de sodium à Hohhot en Mongolie
intérieure, un endroit choisi pour des coûts attractifs de sel et
d'électricité. L'installation devrait pourrait être opérationnelle
fin 2007 et coûterait la somme de 25 millions d'euros. Alors
que sa part de marché dans cette région du monde s'élève
aujourd'hui à 5 %, la société espère atteindre les 15 % à
l'horizon 2010. « Dans tous les cas, il n'y aura pas de
transfert de machines ou d'équipements vers la Chine, ni de
fermeture du site de Pomblière », assure Bruno Gastinne.
Accrochée à sa montagne depuis plus de cent ans, Métaux Spéciaux
espère se tailler une place de choix depuis les steppes herbeuses
de Chine.
Camille ChandèsLES APPLICATIONS DU SODIUM METAL
- Blue jean : le sodium sert à la fabrication de l'indigo
synthétique.
- Fabrication du borohydrure de sodium.
Ce dernier est utilisé pour le blanchiment de la pâte à
papier.
- Historiquement utilisé pour la synthèse du PTE (plomb
tétraétyle), ancien additif pour les essences plombées.
Aujourd'hui cette application a été abandonnée.
- Fabrication d'herbicides, de vitamines et d'intermédiaires
pharmaceutiques.
- Pneus verts.
- Pigments organiques rouges sans cadmium.
- Batteries.
- Raffinage de certains métaux nobles.